LES REGISTRES (ou TONALITES)
Les registres (ou tonalités) sont liés aux effets provoqués par un texte : faire pleurer, faire rire, susciter l’admiration ou la crainte…Ces effets s’appuient sur des caractéristiques que l’on peut repérer dans les textes. Par ailleurs, les registres sont souvent en relation avec un genre : comédie et registre comique, épopée et registre épique, poésie lyrique et registre lyrique..
Ces traits sont souvent présents dans d’autres contextes : un poème peut exploiter le registre comique, un roman peut exploiter les procédés propres à l’épopée… Enfin, dans un même texte peuvent se trouver combinés plusieurs registres.
LE REGISTRE COMIQUE : faire rire
GENRE - Très fréquent au théâtre, mais il traverse également tous les genres (fables, romans, poèmes…) et tous les discours (descriptif, argumentatif, narratif, explicatif). Le registre comique sert à faire naître le rire à cause d’une contradiction, d’un écart entre ce qui était attendu et ce qui est réalisé. On parlera plutôt de tonalité humoristique lorsque le texte suscite le sourire plutôt que le rire.
PROCEDES, CARACTERISTIQUES - L’effet comique repose soit sur des situations particulières (comique de situation, décalages, incongruités, quiproquos, absurdité), soit sur des caractères (comique lié à l’aspect et au comportement d’un personnage, grossissement, caricature), soit sur les mots (jeux de mots, non-sens). Le comique vient souvent du caractère inattendu d’un événement, ou des paroles prononcées, ou d’un manque de logique
1.La caricature. Elle grossit êtres, objets, situations en révélant leurs aspects comiques. La caricature contribue au comique de caractère du théâtre en soulignant les traits saillants d’un personnage. Pour faire rire, il faut forcer le trait dont on veut se moquer.
2. La parodie. La parodie est une pratique littéraire qui remonte à l’Antiquité : elle consistait à imiter une épopée dans un style familier (la parodie de l’épique est le burlesque et on parle alors d’imitation burlesque). Dans un sens plus large, la parodie consiste à imiter une œuvre, un auteur, un style, un genre ou un topos littéraire en le déformant. L’intention est tantôt comique, tantôt satirique.
3. L’absurde. Il révèle le caractère étrange ou incompréhensible de faits ou de personnages (notamment dans le quotidien). Il joue sur le décalage entre les événements et leur interprétation en défiant la logique. Il caractérise le comique de situation du théâtre du XXème
4. Le comique verbal. Il joue sur les mots, leurs sonorités, leurs ambiguïtés (calembours, déformations de la prononciation, jargons en tous genres, anagrammes, contrepèteries), double sens, mélange de champs lexicaux différents, association inhabituelle de mots…
5. L’humour. Il donne une dimension comique à un sujet sérieux en dévoilant ses aspects surprenants.
6. L’ironie. Elle est une forme de dérision qui laisse entendre le contraire de ce qu’elle dit (antiphrase) et fait tenir des propos exagérés, absurdes et ridicules à ceux qu’elle veut dénoncer. Parmi les procédés privilégiés : l’antiphrase, les juxtapositions discordantes, les exagérations inattendues, les atténuations inattendues et déconcertantes.
EFFETS - Susciter le sourire ou le rire du spectateur. «Castigat ridendo mores» c’est-à-dire corriger les mœurs par le rire.
LE REGISTRE TRAGIQUE
THEMES, SITUATIONS - L’amour impossible, la fatalité. Un ou des héros prennent conscience des forces qui pèsent sur eux, forces qui les dépassent et les dominent malgré la résistance que ces héros leur opposent. Les forces peuvent être politiques, divines, sociales, morales. La conscience tragique est la conscience du condamné qui va au supplice.
GENRE : le théâtre (17ème , 20ème), mais le tragique est présent dans d’autres genres.
PROCEDES - Lexique de la fatalité et du désespoir. L’évocation d’un espace, d’une action et d’un temps limités (par la mort, le plus souvent). Expression d’un enchaînement inéluctable, fatal, conduisant le plus souvent à la mort.
EFFET - Provoquer une émotion proche d’une «horreur sacrée».
LE REGISTRE LYRIQUE : chanter ses sentiments
THEMES - La poésie lyrique traite des émotions et des sentiments éprouvés dans les grands moments de l’existence humaine : l’amour, la mort (l’angoisse devant la mort), la communion avec la nature, l’élan vers le sacré (la quête ou le rejet de Dieu). L’énonciateur exprime donc des sentiments et des émotions intimes qu’il veut faire comprendre et partager à l’énonciataire. La poésie lyrique exalte certaines valeurs : liberté, état, patrie, justice, foi en un idéal. Certains thèmes sont étroitement liés à l’expression de sentiments personnels : souffrances et joies de l’amour, angoisse devant la mort et/ou la destinée humaine, conscience de la fuite du temps, carpe diem, l’amitié, la solitude
GENRE - Poésie (surtout 16ème et 19ème : romantisme). Mais l’écriture lyrique existe aussi en dehors du genre poétique : les récits autobiographiques, les romans épistolaires, les pièces de théâtre…L’étymologie du mot «lyrisme» le rapproche de la musique : le lyrisme est à l’origine, le chant que le poète accompagne de sa lyre. Exemple le plus probant : le mythe d’Orphée.
PROCEDES, CARACTERISTIQUES
Enonciation privilégiée à la première personne. Lexique et ponctuation affectifs (champs lexicaux des émotions, des sentiments), points d’exclamation, d’interrogation, apostrophes, interjections. Des procédés d’insistance : anaphores, répétitions, hyperboles, gradations, accumulations.
Modalisations prononcées.
Rythmes et sonorités choisis : rythmes ternaires ou binaires, répétitions ou parallélismes, jeux d’assonances ou d’allitérations..
Figures de style analogiques (comparaisons, anaphores)
Le «je» se peint mais peut peindre également les échos que ce langage des sensations, des sentiments rencontre chez les autres ou dans la nature (le lyrisme peut être très personnel-type poésie de Lamartine-ou collectif ie peindre ce que peut ressentir tout homme).
EFFETS : Exprimer une émotion (nostalgie, regret, tristesse, joie ) dont les harmoniques réveilleront chez le lecteur une émotion analogue. Epanchement ou exaltation.
L’ELEGIE - Sous-genre de la poésie lyrique, elle exprime une plainte pathétique, que ce soit l’amour déçu ou le chagrin du deuil (sujet tendre et triste).
LE REGISTRE PATHETIQUE : émouvoir
Etymologie : du grec «pathos» c’est-à-dire la passion, la souffrance
Un texte appartient au registre pathétique quand il cherche à émouvoir, à attendrir par l’expression exacerbée des sentiments. Il est donc proche du lyrisme mais il s’en distingue par le fait qu’il n’évoque que des situations douloureuses, des malheurs. Le registre pathétique concerne tous les énoncés qui suscitent chez le lecteur une émotion. Cette émotion peut être une fin en soi (cas de certains romans sentimentaux) mais aussi avoir une fonction argumentative et amener le lecteur à réagir, face à une injustice par exemple.
THEMES - Situation ou discours marqués par la passion, la souffrance, la difficulté de vivre.
GENRE - Roman, poésie, théâtre.
PROCEDES, CARACTERISTIQUES
Le spectacle et le lexique des émotions (douleur, terreur, pitié)
Les interjections, les exclamations et les interrogations qui témoignent du bouleversement du locuteur
L’apostrophe pour renforcer l’implication de l’énonciataire et l’apitoyer.
Les champs lexicaux de la douleur, de la souffrance, de la mort, de la fatalité (exemples : désastreux, effroyable, terrible, débris, lambeaux, cendres, larmes, détruire)
L’hyperbole, la gradation pour amplifier l’expression de cette douleur.
Cette gradation se retrouve sur le plan du rythme : phrase composée de groupes de mots de volume croissant (rythme croissant, crescendo : 3 syllabes / 5 syllabes / 9 syllabes). Ce registre recourt également aux rythmes brisés.
Les images émouvantes
EFFET - Emouvoir le destinataire, susciter ses larmes. Ne pas oublier que cette émotion peut revêtir une dimension argumentative (persuader...)
LE REGISTRE EPIQUE : amplifier des événements
Etymologie : du grec «epos » c’est-à-dire la parole célébrant les exploits souvent guerriers d’un héros.
THEMES - L’état de guerre, la guerre car celle-ci offre l’occasion d’une mise en valeur du courage guerrier.
GENRE - A l’origine, l’épopée s’inscrit dans le genre poétique (Homère), mais on le trouve aussi dans les romans, au théâtre
PROCEDES, CARACTERISTIQUES - L’épique est créé par :
• L’amplification
• L’hyperbole
• Les métaphores , les superlatifs, les pluriels intensifs, les termes collectifs
• La gradation, l’énumération, l’accumulation
• Les rythmes croissants ou accumulatifs
• L’intervention du surnaturel, du merveilleux
Tous ces procédés travaillent dans le sens de l’élargissement du cadre spatio temporel, de la démesure.
• Le recours aux procédés de la littérature orale : adresse au public, répétitions de mots ou d’expressions -
Recours à des « épithètes homériques » type « Ulysse aux mille tours »
• La simplification
• La schématisation des personnages, des situations et la présence d’un héros.
• Le manichéisme des situations.
• Tendant à la simplification, le récit épique s’organise souvent autour de symboles (ou d’épisodes symboliques) qui représentent les valeurs collectives d’une société.
Par exemple, l’épée de Roland, dans la Chanson de Roland, représente l’idéal chrétien et guerrier de la société féodale.
EFFET - Produire sur le lecteur un sentiment d’exaltation.
LE REGISTRE POLEMIQUE : attaquer
Un texte est polémique (du grec « polemos » : guerre, combat) quand il fait état d’un désaccord, d’un conflit entre deux positions adverses sur un même sujet.
THEMES (dans le cas du sujet « écriture d’invention ») une innovation technique (la télévision, l’informatique…), un comportement social, un mode de vie, les institutions, les lois, le régime politique, un produit culturel (livre, film, exposition…)
PROCEDES, CARACTERISTIQUES Ce registre se caractérise par tous les procédés visant à attaquer ou à discréditer un adversaire : termes péjoratifs (voire insultes) ; images dévalorisantes, ironie, arguments ad hominem. Il se rapproche donc du registre satirique, mais à la différence de celui-ci, il n’emploie pas seulement l’arme de la moquerie. L’attaque peut être sérieuse.
• Pour attaquer la cause adverse -
Interpellation de l’adversaire par l’apostrophe et l’emploi de « TU » ou « VOUS » en jouant sur le tutoiement et le vouvoiement, l’injure, le sarcasme ;
Le vocabulaire péjoratif, les images dévalorisantes, l’ironie, les arguments ad hominem -
La caricature.
2. Pour défendre sa propre cause :
Présence forte du « JE » ( ou du "Nous") pour montrer l’implication de l’énonciateur ;
Vocabulaire mélioratif (admirable, bienfaiteur, génie) ou affectif (larmes, tendresse…) -
La louange (emploi de superlatifs) et l’hyperbole.
Invocation de valeurs morales (honnêteté, courage), sociales (égalité, justice), esthétiques (beau, vrai).
Procédés de l’indignation : exclamations, anaphores, questions rhétoriques
Procédés de la provocation : paradoxe, antithèse, exagération, jeu de mots.
Procédés de l’ironie (cf. au-dessous)
LE REGISTRE IRONIQUE : faire entendre autre chose que ce que l’on dit.
Traditionnellement, l’ironie est considérée comme une figure de style dans laquelle le locuteur veut faire entendre le contraire de ce qu’il dit ou écrit. Dans cette acception, l’ironie est proche de l’antiphrase qui consiste à faire entendre le contraire de ce qu’on dit : « Ne vous gênez pas ! » . Mais on définit aussi l’ironie de manière plus large comme une forme de double énonciation : dans un énoncé ironique deux voix se font entendre dans un seul énoncé ; le locuteur affirme quelque chose, tout en laissant entendre qu’il n’adhère pas à son propos. L’ironie est un art du décalage entre la pensée réelle et son expression. Un discours ironique a donc toujours une dimension de raillerie et vise une cible particulière.
THEMES N’importe quel thème peut se traiter par l’ironie.
PROCEDES Etablir une complicité avec le lecteur pour qu’il perçoive l’intention réelle de l’énonciateur et rie avec lui aux dépens de l’adversaire
L’antiphrase : figure majeure de l’ironie, elle consiste à dire le contraire de ce que l’on pense, tout en faisant comprendre ce qu’on pense vraiment.
Les procédés qui créent un écart, un décalage : euphémisme, paradoxe, oxymore, sonorités cocasses, contraste entre les faits et leur justification ou entre les faits et leurs conséquences, niveau de langue inapproprié (trop soutenu pour la réalité décrite ou trop familier pour le sérieux de l’idée)
Le raisonnement par l’absurde : on transforme la thèse en hypothèse dont on tire des conséquences ridicules donc absurdes ;
Les procédés d’exagération ou des adverbes tels que bien sûr, évidemment
L’intonation ou la ponctuation (guillemets, italiques) qui laissent entendre que le locuteur n’adhère pas à ce qu’il exprime.
LE REGISTRE SATIRIQUE : critiquer
Le registre satirique concerne tous les énoncés dans lesquels on critique une personne, une situation ou une idée en s’en moquant et en la tournant en ridicule ou bien encore lorsque l’on dénonce de manière acerbe les défauts d’un individu, d’une société, d’une œuvre artistique. Ce registre peut traverser tous les genres et tous les discours et il confère à ceux-ci une dimension argumentative. Il est particulièrement présent dans les portraits, auxquels il donne également une portée argumentative et dans les textes polémiques (discours politiques par exemple)
THEMES Les attaques personnelles contre les individus, leurs défauts ou leur conduite (exemple : Voltaire et Rousseau)
Les mœurs, les pratiques sociales (La Bruyère, Montesquieu) -
Les personnages et les événements politiques (Les Châtiments de Victor Hugo)
PROCEDES
Des descriptions avec exactitude réaliste des détails
Utilisation des procédés suivants : l’exagération, le grossissement (hyperbole) et la déformation (caricature) , l’accumulation pour souligner ce qui est révoltant
Utilisation de termes dépréciatifs, d’images dévalorisantes, d’hyperboles
Des procédés d’opposition pour souligner des contrastes
Un vocabulaire et des tournures emphatiques
Des tirades oratoires
Les procédés de l’ironie (se présenter comme un éloge)
Des commentaires critiques du narrateur
L’appel aux valeurs morales
LE REGISTRE FANTASTIQUE
THEMES, SITUATIONS Le fantastique est lié à des lieux et à des climats particuliers : univers clos, baignant dans l’obscurité, dans des atmosphères marquées par le luxe, l’art et la beauté.
Le fantastique met en scène des personnages caractéristiques :
* hommes riches et oisifs, épris d’idéal et de beauté, aventuriers à la sensibilité exacerbée, ardents, passionnés.
* femmes à la beauté parfaite, sensuelles ou éthérées, dont la forme idéale semble naître du rêve ou de l’imagination.
Thèmes majeurs : la mort et la résurrection / l’amour, la beauté et la mort / le charnel et l’idéal.
Cependant, il faut souligner que le fantastique ne peut se résumer à quelques thèmes.
GENRE Le fantastique est un genre ancré dans une histoire des formes et des idées : le récit du milieu et de la fin du XIXème, solidaire du courant romantique (des traces de romantisme apparaissent dans certaines œuvres fantastiques).
PROCEDES Le récit fantastique joue sur le doute et l’hésitation entre l’interprétation rationnelle ou irrationnelle des événements racontés.
L’ambiguïté, le vacillement entre rationnel et irrationnel, raison et folie, rêve et réalité ne constituent pas qu’une constante thématique et générique du fantastique, ils sont au cœur même de sa problématique d’écriture car ils sont les effets d’une esthétique de la mystification.
EFFET Produire sur le lecteur un vacillement, une inquiétude, la perte provisoire des repères temporels. Cultivant une esthétique de la mystification, le fantastique «brouille» délibérément les pistes, veut égarer le lecteur.